Dans le nord

Filed in Perspectives by on 25th Jan 2009

Abidjan, Côte d’Ivoire – C’était après une semaine de cours sur le journalisme d’investigation lors d’un séminaire pour la presse écrite qui se déroulait la même semaine que l’investiture du président des Etats-Unis, Barack Obama.

Un jeune journaliste et moi étions assis au bar à Grand Bassam, à quelques 25 kilomètres à l’est d’Abidjan. Il faut se rendre compte que Grand Bassam est un petit village paisible en Côte d’Ivoire avec un hôtel, le Koral Beach qui se trouve sous les palmiers d’une grande plage avec de magnifiques vagues qui attaquaient sans cesse le sable brun. Le luxe de cet hôtel n’est aucunement comparable à ceux des grandes chaînes d’hôtels américaines ou françaises, mais pour ceux qui le fréquentent, la vie est belle.

Yacouba prenait une bière avec moi pour se désaltérer sous la chaleur suffocante. En dégustant nos Flags, il commençait à me parler de la situation dans son pays presque sept ans auparavant.

« Je n’ai jamais dit ça à personne » dit-il, « mais après ce que j’ai appris ici, je crois que si tout le monde appliquaient ces leçons, on pourrait voir un vrai changement ici, une vraie démocratie au pays. »

Ça serait faux de dire que j’avais présenté une semaine de leçons. Je n’avais présenté que quelques notions de base du journalisme et quelques pratiques courantes des journalistes occidentaux. Yacouba a commencé à parler d’une période lorsqu’il était étudiant.

Côte d'Ivoire gang  « J’étais dans le nord pour visiter mon oncle quand un groupe d’hommes armés m’a arrêté. Ils ont demandé ma carte d’identité. Mais la semaine avant je l’avais laissée dans la poche de ma chemise et ça a été abîmée dans le lavage. Je ne pouvais plus m’en servir. Alors je n’avais rien. Les hommes armés m’ont jeté dans une remise noire avec sept autres personnes. »

« Mais qu’est-ce que tu as fait? Je lui demande.

« J’avais peur, vraiment peur. Je ne savais pas s’ils allaient me battre ou me tuer pourtant je n’avais rien fait.  Quand j’ai vu les autres qui étaient pris en otage mais qui ne disaient rien parce eux aussi ils avaient peur, je me suis dit « ça va pas » et je commençais à poser des questions à cette bande armée, exactement comme tu nous a dit qu’ils fallait faire dans le séminaire ».

« Alors, c’était claire que la situation était dangereuse, qu’est-ce que t’a dit? »

« Bon, j’ai demandé pourquoi vous faites ça, qui vous a donné la permission d’arrêter les gens, où est votre autorisation à faire ça? Qu’est-ce qu’ils ont fait ces gens, sont-ils des criminels, c’est pour ça que vous les avez arrêtés? Je n’arrêtais pas de poser des questions….et j’avais peur ».

«Qu’est-ce qu’ils ont répondus? »

« Au début ils m’ont dit de me taire. Après ils s’énervaient et commençaient à crier à haute voix de me taire où de subir des conséquences. Quelles conséquences? Qui vous autorise ça? Je ne connais pas de loi qui vous permet de faire ça ».

Assis au bar, Yacouba était visiblement ému. Les masques des guerriers des siècles passés accrochés au mur nous regardaient de haut pendant que la musique jouait. Les autres clients nous ignoraient. Notre jeune journaliste revivait ces moments de peur et c’était comme si j’y étais moi-même.

« Comment ils ont réagi à ça? » lui demandais-je, lui laissant le temps de prendre une longue gorgée de bière.

« C’est étrange » a-t-il répondu. « Ils s’énervaient plus et demandaient à savoir qui j’étais – Mais qui es-tu? Pourquoi tu poses toutes ces questions? Qui es-tu? Dis le nous, qui es-tu?  Mais je savais que je leur avais fait peur ».

« Comment ça, avec tes questions? » je lui demande.

« Mais c’est ça, ils savaient déjà que j’étais étudiant et d’où je venais. Je leur avais déjà dit. »

« Alors pourquoi ils auraient peur de toi, surtout si tu n’étais qu’un étudiant. Tu ne représentais aucun danger pour eux? »

« Mais il faut comprendre, on est en Afrique. Quand les gens demandent Qui es-tu? ils craignent que tu est le fils du président ou d’un ministre au gouvernement, ça leur auraient crée des problèmes graves ça ».

« Qu’est-ce que t’as fait ensuite? » lui demandais-je, curieux de savoir ce qui s’est passé.

Côte d'Ivoire soldats« Je leur regardais dans les yeux et je leur ai dit qu’ils n’avaient vraiment pas d’autorisation à arrêter tous ces gens-là. Puis ils commençaient à parler entre eux et même à crier les uns envers les autres. Il y en avaient qui ne voulaient pas, mais en fin de compte, ils nous ont tous laissé partir et on a quitté en vitesse sans dire un mot. Je suis convaincu que si je ne n’avais pas posé ces questions que je ne serais pas ici aujourd’hui. Quand j’ai obtenue mon diplôme, j’ai décidé de devenir journaliste à cause de ce que s’est passé cette journée-là. »

« La chance était vraiment avec toi » je lui ai dit en levant mon verre à sa santé.

Les vagues attaquent toujours le sable sur les plages de la Côte d’Ivoire avec un son qui me fait penser aux bombardements qui ont frappé ce pays en septembre 2002 lorsque les frustrations d’une bande d’hommes armés se sont traduits en coup d’état. Je me demandais si les victimes, hommes et femmes innocents, dont on a découvert les cadavres pendant cette période noire, étaient des gens aussi courageux que Yacouba, qui ne faisaient que de poser des questions, exerçant ainsi leur droit démocratique.

En ce moment la Côte d’Ivoire attend la déclaration des élections, retardées déjà plusieurs fois. L’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire se poursuit afin de restaurer les conditions nécessaires à une démocratie saine. Pour le moment c’est ni guerre, ni paix, une phrase que l’on entend souvent ici. On peut sentir la frustration dans les conversations quotidiennes des gens qui n’osent parler de quoi que ce soit controversé de peur de provoquer une bagarre qui mènerait à la mort. Ces gens ne veulent que reprendre une vie normale et remplacer l’instabilité qu’ils ressentent par la paix.

Derek Quinn

Le 25 janvier 2009

 

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